ALEH DEJJ – ALYA LÉ EZRAT HaAM
2em PROMO ÉTÉ 74 – APPARTEMENT 43
Été soixante-quatorze, appartement quarante-trois
Début d’après-midi, août soixante-quatorze. Je suis devant la résidence estudiantine de l’agence juive, dans le quartier de Shmuel Hanavi- Samuel le Prophète - à Jérusalem. J’attends la responsable des admissions. Après vérification de mon identité, né à Paris, vingt ans, venu pour changer d’air et non par idéal sioniste. Une fois les formalités remplies, elle m’accompagne. Nous passons devant plusieurs cages d’escaliers, fermées par des grilles en fer, où chaque entrée est réservée à une nationalité. Russes, Sud -américains, Anglo-saxons. Chacun sa cage. Aucune promiscuité, aucun mélange, la responsable veille au grain. L’immeuble est sombre, délabré. Je me demande pourquoi l’Agence Juive nous a parqué ici, plutôt que sur le campus. Ce bâtiment est à l’image du quartier, triste et décrépi. Les Français sont logés dans les appartements au bout du couloir. Deuxième étage, appartement quarante-trois. Elle m’indique une chambre minuscule. Pendant quelques semaines je partagerai cet appart seul avec Michel Farhi, un Niçois qui a fait son Alya l’année précédente. Il fait partie de la première promotion d’Aleh DEJJ, littéralement Alya Lé Ezrat HaAm, « la montée en Israël pour aider le Peuple ». Rien de moins !
La piaule, comme le reste de l’appart, est minimaliste, voire spartiate. Un lit, un bureau, une armoire et un vasistas comme unique source de lumière naturelle. Au premier contact, le courant passe entre nous. Il me briefe au sujet de cette première promo et me parle de ses projets. Il sera maitre d’école et s’établira dans une ville de développement, dans le sud du pays. Séduit par son enthousiasme, je le suis à Beit-Akerem, là où l’on forme les futurs instits. Après une semaine passée en ce lieu, je réalise que ce n’est pas pour moi. Je ne comprends pas un traitre mot de ce que racontent les profs et suis inconfortable en présence de ces étudiantes religieuses qui passent leur temps à tricoter des kippot. J’ai l’impression de me faire endoctriner, en prévision d’une prochaine installation dans les Territoires. Pour moi, ce sera l’université.
L’année préparatoire se déroule à Har Hatzofim, le second campus de l’Université Hébraïque de Jérusalem, avec celui de Givat Ram. Le programme est chargé. Cours d’hébreu tous les matins. Je m’accroche, car en juin je passerai l’examen d’hébreu qui me qualifiera ou pas à poursuivre mes études. Les après-midis sont consacrés à la Culture juive et Israélienne, avec une brochette de profs extraordinaires. Pensée juive, avec Théo Dreyfus qui nous fait toucher du doigt les subtilités du Khouzari et la complexité de la pensée juive. Histoire juive, avec Renée Bernheim-Neher, une érudite pour qui l’histoire juive n’est autre que celle de l’humanité. Le professeur Kennan nous enseigne les subtilités du système politique israélien et la centralité des principes de la proportionnelle intégrale et de la coalition. Quant à Claude Klein, il nous initie aux méandres d’un système juridique multiforme fondé, entre autres, sur le droit juif, ottoman et britannique, dont s’est doté le jeune État. Côtoyer ces profs, dont plusieurs sont de véritables sommités, ce que je réaliserai plus tard, est pour moi un privilège sans nom et révélateur, au sens photographique, des lacunes abyssales de ma propre histoire. Je me découvre une boulimie livresque.
Une fois les cours terminés, en début de soirée, nous nous retrouvons autour d’Erik Cohen, responsable du projet depuis ses débuts. Séances de travail-réflexion sur les tenants et aboutissants du projet, de notre engagement socio-éducatif auprès des résidents du quartier et de la mise en pratique de l’hébreu appris. Ensemble, nous nous familiarisons avec l’hébreu, afin de nous faire comprendre des habitants et de leurs enfants. Fous rires, quand il s’agit de dire « prends les ciseaux et coupe la feuille de papier » ou encore « nous sommes ici pour aider à améliorer l’état du quartier ». De ces séances, se dégage un subtil parfum aux fragrances mêlées. Celles d’une cellule trotskyste, par le sérieux de nos débats et celles du Big Bazar, par notre côté idéaliste Peace and Love.
Au quarante-trois, nous sommes complets. Michel Kichka, un Belge du Hashomer Hatzair, nous rejoint, ainsi que Boris, un copain de Paris. Avec Michel de Belgique, la complicité et l’amitié sont immédiates. Nous partageons un passé semblable fait d’années de pensionnat, des mêmes goûts, en matière de BD, pour les dessins de Goetlib, Lucky Luke, Bretécher, Fluide glacial, Tintin et autres Astérix, et d’études secondaires comparables. Lui, l’architecture et moi, le BTP. Il se prépare aux examens d’entrée à Betzalel, l’école des Beaux-Arts et faire du dessin, son métier. Dans l’appart, l’ambiance est bonne. Spontanément, on s’accorde pour tout mettre en commun, l’argent de nos bourses, ce que l’on ramène de nos séjours en France, alcool, cigarettes et victuailles passées en douce. Il en est de même pour les tâches ménagères, de la propreté de l’appart, des courses chez l’épicier d’en bas de l’immeuble et de la préparation et prise des repas en commun. Notre appart, spik and span, est un phalanstère, pulsé aux Best-of de Fugain, Genesis, Pink Floyd, Bob Marley, Led Zepplin et Supertramp auxquels s’ajouteront, sous peu, ceux de Matti Kaspi, Shalom Hanokh et Arik Einstein.
En deux- trois mois, nous sommes prêts. Les deux Michel ont décoré l’intérieur d’un Miklat de fresques et de dessins. Par l’entremise d’Érik Cohen et ses contacts, nous avons acquis des jeux éducatifs et par le porte- à-porte et le bouche à oreilles, les résidents du quartier sont encouragés à nous confier leurs progénitures pour des activités socio-éducatives et du soutien scolaire. Ce Miklat sera la première ludothèque du quartier. Le projet Alya Lé Ezrat HaHam est sur les rails. Rapidement, je constate que bosser avec des enfants n’est guère ma tasse de thé, étant plus dans mon élément auprès d’adolescents. Sans doute mon expérience de cadre à la JAC, la Jeune Action Communautaire et comme éducateur à L’OPEJ. Avec deux ou trois autres membres du groupe, nous organisons un endroit pour les ados. Lieu de rencontre, pour se poser, faire les devoirs et se former à l’animation. Nous caressons l’idée d’en faire de futurs leaders auprès des plus jeunes du quartier, des Grands-frères, en quelque sorte. C’est bien beau tout cela, mais comment faire ?
Erik Cohen avait organisé, quelques semaines auparavant, une séance de travail avec Mikhaël Fern, ex-avocat strasbourgeois qui intervient dans les quartiers défavorisés à leur prise en charge par les résidents, à l’auto-organisation communautaire et à la défense de leurs droits auprès des décideurs municipaux. Je ne sais si Mikhael s’inspire de la pensée de Saul Alinsky, le théoricien du Community organising, en tout cas ça y ressemble beaucoup, le côté radical en moins. Shmuen Hanavi, Muskhara et Katamon sont les quartiers érigés, dans les années cinquante, à la frontière entre la Jordanie et la Jérusalem juive et peuplés, pour l’essentiel, de populations immigrantes orientales défavorisées. Je contacte Mikhaël et lui fais part de notre idée de formation d’adolescents au leadership communautaire. À ses côtés, je vais apprendre et œuvrer, améliorer mon hébreu, mieux comprendre les enjeux locaux, affirmer mes choix d’études et, in fine, trouver ma voie : l’organisation communautaire.
L’année se déroule au rythme de nos obligations : cours, travaux à remettre, préparation des examens de fin d’année, dont celui d’hébreu, et de nos engagements : séances de travail-réflexion du groupe, animation du foyer des ados, assurer la permanence de la ludothèque, kermesse à organiser pour le quartier et interventions avec Mikhaël, aux quatre coins de la ville. Sans oublier les heures à bosser dans une blanchisserie industrielle, histoire d’améliorer l’état de mes finances. En mai-juin soixante-quinze, entre deux examens, nous réalisons notre première kermesse. Un succès. Nous avons gagné en crédibilité auprès des résidents du quartier et leur reconnaissance. Il reste quelques jours avant l’examen final d’hébreu. La fébrilité est palpable à tous les étages. Ça passe ou ça casse. Finalement, nous avons atteint le niveau d’hébreu requis et obtenu notre ticket d’entrée à l’université, en octobre prochain.
Je décide de rester au Pays et de rempiler pour trois autres années, au quarante-trois de la résidence estudiantine de l’agence juive dans le quartier Samuel le Prophète à Jérusalem.
Maurice CHALOM – MACH
2ème promo Aleh DEJJ, été 1974