LETTRE AUX ENFANTS DE MON AMI
Mes chers Marc, Ruth, Myriam et Sarah
C’est un pan entier de ma vie qui s’écroule avec le départ de mon ami Salomon, parti rejoindre là-haut son fils tant aimé, votre frère Manu.
Parler de vie entière n’est pas exagéré … nous partageons nos destins depuis plus de 60 ans !
Vous recevez ces jours-ci de nombreux hommages et témoignages qui retracent l’itinéraire et l’œuvre de votre père.
Vous allez revivre toutes ses vies, ses combats, ses missions, ses défis, ses réussites, ses épreuves …
Ses amis et ses proches auront à cœur de vous dire leur amour
Ils voudront vous remémorer, à travers les moments et anecdotes vécus avec lui, les multiples visages de l’Homme qu’il a été : le Maître, l’Éducateur, le Fils, le Père, l’Époux, le Juif, le Juste, le Sioniste …
Me permettez-vous, en ce qui me concerne, de concentrer mon propos sur la genèse et les premières années de notre relation ?
Elles sont significatives de la nature profonde de Salomon, de son engagement communautaire, de ses capacités éducatives, de ses valeurs morales …
Elles annoncent la trajectoire brillante de son parcours futur, en France et en Israël
C’est à cette tranche de vie parfois occultée mais tellement révélatrice que je voudrais rendre un hommage particulier en la racontant
J’aime dire et redire que votre père et moi avions vécu notre enfance dans la même rue à Casablanca
J’étais âgé d’à peine une douzaine d’années lorsque j’ai commencé à repérer dans le quartier un grand gaillard en foulard, marchant fièrement, imposant par sa stature et son uniforme scout
Je ne le connaissais pas … je l’enviais, le jalousais probablement, mais l’admirais en même temps
J’ai bien entendu voulu l’imiter et j’ai décidé de rejoindre les EIM, troupe Edmond Fleg …
Mon chef de Troupe ? Jo Bengio … Berger, votre oncle !
Comme nous faisions partie du même District, je croisais souvent celui qu’on appelait déjà Autruche
Surtout lors des activités communes et de rassemblement, notamment les Camps et les Offices de Chabbat auxquels participait régulièrement une certaine … Esther Bengio, Fléole, votre mère !
Le tournant de notre vie commune remonte à Octobre 1963 - j’avais 21 ans - lorsque Lynclair m’a nommé à Lyon, adjoint d’Esther Abitbol …
Vous imaginez le Balagan :
Bélier permanent du DEJJ d’Esther, il appartient donc à Esther … C’est elle qui le dit !
Salomon voulait absolument m’impliquer dans les activités de la Maison des Jeunes !
Vous imaginez l’ambiance, étincelles assurées !
Néanmoins, c’est là que j’ai vécu au plus près avec Salomon, que je l’ai vraiment observé, réellement connu.
J’ai découvert peu à peu un Homme, un Personnage d’une dimension exceptionnelle, un Monument …
Honnêteté absolue, rigueur intellectuelle, idées claires, ouverture d’esprit, tolérance, disponibilité, hospitalité, don de soi, exigence, volonté farouche, sens de la transmission, art du compromis, recherche de la paix, respect de la parole donnée, fidélité, curiosité, résilience …
Quatre années inoubliables à Lyon avec les Abitbol …
Accueilli et hébergé chez eux pendant plusieurs mois, comme si je faisais partie de la famille depuis toujours
J’ai tout vécu avec Salomon et Esther, j’ai même survécu !
Nous avons travaillé dur :
Recensement des familles juives dans toutes les Communautés de la Région, mise en œuvre des activités éducatives pour les enfants et les jeunes, organisation et encadrement des centres de vacances, stages et formation des cadres, création de la JAC …
Nous avons veillé tard :
Longues séances de conception et de mise en œuvre des programmes, nuits interminables de préparation et de discussion, rires sans fin, bonnes et mauvaises blagues, menaces de divorce, engueulades théâtrales dont l’intensité et le niveau de décibels laissaient craindre le pire …
Tout finissant toujours par s’estomper, non sans avoir auparavant contribué à réveiller les petits d’alors, Marc et Manu … tout heureux de participer à notre bordel
Pardon pour mon langage incongru et grossier mais je vous remercie de ne pas effacer le terme utilisé : bordel
Salomon ne disait jamais de gros mot mais rigolait comme un gamin quand il en entendait, faisant semblant de s’offusquer avant de nous lancer son injure suprême … Misérable !
J’adorais le provoquer
Je voudrais tant qu’il rigole encore !
L’action de Salomon à Saint-Fons / Vénissieux a été souvent citée, elle a été peu relatée
Pour moi, elle est unique, exemplaire et mérite qu’on la décrive, qu’on la rappelle …
A l’arrivée de vos parents, la Communauté, composée exclusivement de familles juives d’ouvriers marocains, était moribonde, délabrée, sans âme, sans lien, sans unité … Bien entendu, aucune activité proposée
Salomon s’est lancé le défi de la faire revivre, faisant fi du scepticisme général ambiant
Il l’a pourtant ressuscitée ! Comment ?
Il a commencé sa mission en rendant visite à toutes les familles, systématiquement …
Il a appris l’histoire de chacun, les histoires
Il leur a parlé de Judaïsme, de Communauté, de Rassemblement, de Célébration, de Partage …
Il a gagné leur confiance, il est devenu leur confident, le dépositaire de leurs états d’âme, leur consultant pour les litiges familiaux.
Il a programmé pour les Jeunes et les enfants des ateliers artistiques et ludiques inédits, variés, réguliers, adaptés à chaque âge
Il a créé une Troupe Théâtrale qui a eu un certain succès … Il a même osé me faire jouer le rôle du Petit Prince dans la pièce de Saint-Exupéry …
Il était particulièrement attentif à l’éclosion de jeunes au potentiel prometteur, afin de les orienter vers une formation d’encadrement
Il réunissait l’ensemble de la Communauté lors de la célébration de chaque Fête du Calendrier Hébraïque
Si Salomon n’avait réalisé que le miracle Saint-Fons / Vénissieux … Dayenou !
Il a déjà gagné sa place à Gan Eden
Mais nous avons affaire à un Monsieur Hors Normes
Il a décidé d’offrir sa vie à ceux qui sont dans le besoin … matériel, spirituel, social, affectif, éducatif, psychologique …
Casablanca, Taverny, Saint-Fons, Nétivot, Shlihout , Beth Shéan , Jérusalem …
Chaque étape mérite respect, considération … et devrait être enseignée en Sciences de l’Éducation Populaire
Marc, Ruth, Myriam, Sarah … Vous pouvez être fiers de votre père.
Esther, Salomon veille toujours sur toi !
Autruche, Chalom mon grand frère … Repose en Paix.
Toute mon affection
Bélier
Haïm BENLOLO
DEJJ Nation